Renzo Martens

L’homme qui explique aux Pauvres comment exploiter leur misère

Sabine Noble et Mathieu Chausseron



Renzo Martens est un artiste hollandais. En 2003 il a amorcé la réalisation d’un triptyque de films : Enjoy Poverty. Il questionne avec ce travail son rapport aux images de guerre et de pauvreté à travers le prisme de son identité d’homme blanc occidental.

Episode 1 se déroule en Tchétchénie, durant la guerre face aux Russes. Martens s’y rend seul, en toute illégalité, et décide non pas d’interroger les différents protagonistes du conflit (réfugiés, travailleurs humanitaires, rebelles...) sur leur situation personnelle mais plutôt de leur demander comment, de leur point de vue, lui (Renzo) se sent. Ainsi le film ne s’intéresse pas à des phénomènes extérieurs, mais interroge au contraire les conditions de l’existence personnelle du réalisateur et des spectateurs en posant les limites de la notion d’humanisme. Jusqu’où peut-on comprendre l’autre?
Episode 2 n’a jamais vu le jour.
Episode 3 prend place au Congo. Le constat y est simple : l’aide au développement rapporte plus de capitaux au pays que n’importe quelle autre ressource. Dès lors, pourquoi ne pas envisager la pauvreté comme une matière première? Poussant rationalité et logique capitaliste à leur paroxysme, aux confins de l’absurde et du cynisme, Renzo Martens entreprend de monter un tout nouveau programme d’émancipation. Pas question ici d’enseigner les techniques permettant de creuser un puits ou d’irriguer un champ, le blanc décide plutôt d’apprendre à un groupe de villageois comment photographier la misère alentour. Un cliché de cadavre ou d’enfant sous-alimenté rapportant mille fois plus qu’une bête photographie de mariage, le calcul est vite fait. Mais le business reste jusqu’ici la chasse gardée des occidentaux, vrais propriétaires de la pauvreté. Au cours d’ateliers, la population locale est donc encouragée à ne pas lutter contre la misère mais à l’embrasser, afin d’en cueillir elle aussi les fruits. Dans d’autres régions où la pauvreté n’a pas de valeur marchande, les autochtones sont poussés à accepter leur sort, cette fois parce que l’on n’y changera rien. Face à une situation en apparence totalement bloquée, dans laquelle tout le monde ou presque semble trouver son compte (habitants des pays occidentaux, responsables politiques et économiques, organisations humanitaires...) en dépit d’une indignation de façade, les Africains ont-ils d’autres choix que d’accepter leur condition misérable? Lucides, ne devraient-ils pas plutôt se faire une raison?




Quelle est la genèse de ce triptyque? Le projet est-il né en réaction à une insensibilité personnelle face aux images de pauvreté omniprésentes dans les médias?
Episode 3 est la troisième partie d’une série qui tente de dévoiler la fonction du film et de la caméra dans un monde médiatisé en permanence.
Dans le premier volet, j’ai fait un voyage en Tchétchénie où j’ai endossé le rôle le plus important -mais rarement reconnu- dans toute guerre médiatisée : celui du téléspectateur, pour l’attention duquel on se bat. La bataille médiatique est d’ailleurs bien plus importante que celle livrée avec des Kalashnikovs ou des bombes. Suivant ce constat, je n’ai donc pas demandé aux rebelles, aux réfugiés, ni aux soldats russes leurs impressions. C’était inutile. Je les ai en revanche harcelés avec des questions concernant mon ressenti.
Finalement l’enjeu c’est ça, c’est moi, le spectateur. Le principal est de savoir comment je me sens, maintenant que leurs larmes coulent, que leur ville est en flammes.
Avant de commencer Episode 3, je me suis rendu compte que non seulement cette image de l’autre en détresse (ou sous l’emprise de n’importe quelle émotion) est utilisée pour susciter une émotion auprès du spectateur, mais que cela va bien au-delà de ça. A tel point que cette image ne décide pas seulement de l’issue de la guerre, mais qu’entre temps, elle devient la matière de base de toute une industrie, qui ne cherche pas fondamentalement à arrêter ce flux mais s’en sert en générant d’importantes sommes d’argent. La médiatisation, finalement, fait de la misère un produit d’exportation.
Les films trouvent donc leur origine dans une analyse de la fonction de l’image et constituent une forme de méditation sur le sens -et les limites- de l’art, de l’intervention artistique. Mais ils traitent de l’amour aussi, de sa puissance comme agent de change et de sa faiblesse. En effet, malgré le puissant sentiment d’empathie généré chez les occidentaux, l’amour ne parvient pas à générer assez d’argent pour la nourriture quand les enfants ont besoin de manger.

Vos films doivent-ils être appréhendés comme des documentaires ou comme des pièces d’art contemporain? Pourquoi?
Ces films montrent une réalité extérieure, et la reproduisent entièrement. Si le monde est vert, alors le film ne montre pas le « vert », le film est simplement vert, comme une peinture monochrome.
Cette pratique s’inscrit dans une longue histoire de l’art, celle de l’autoréférence comme seul moyen de parler du monde. Godard l’a évoqué en profondeur, dans sa série France Tour Détour. C’est aussi l’héritage du modernisme.

Journalistes et travailleurs humanitaires entretiennent d’ailleurs une relation d’interdépendance, les différentes ONG construisent leurs camps respectifs, accueillent leurs réfugiés qui sont ensuite photographiés par les journalistes qui offrent ainsi aux structures une visibilité en Occident, indispensable pour recueillir des fonds. Que vous inspire cette collaboration et quel regard portez-vous sur le travail des ONG au Congo?
Effectivement, les ONG sont dépendantes de la couverture médiatique pour trouver des fonds, et les journalistes qui vont au Congo sont contents de les trouver car ils ont peu de temps, des budgets limités et parfois peu d’expérience. Rien de plus facile dans ces conditions qu’une visite guidée par MSF ou Unicef. Le journaliste a accès à des réfugiés, à des images, il rencontre des gens intelligents, francophones ou occidentaux, qui lui expliquent la situation. Alors le logo de l’ONG est repris dans l’image, ou son nom figure dans le texte en tant qu’autorité sur le terrain. Deux histoires sur trois dans les médias laissent la parole à l’homme blanc qui vient aider. Journalistes et ONG créent ainsi une situation de profit réciproque.
En même temps, il y a des perdants. Les noirs. D’après nos médias occidentaux, il semble que les blancs en Afrique soient là pour amener la paix, la démocratie, la raison, la tendresse, tandis que les milices -noires bien évidemment- s’amusent à foutre le bordel.
Pourquoi ce constat? Parce que les blancs qui foutent le bordel ne se laissent pas filmer et n’organisent pas de visites guidées de leurs champs de bataille ou de leurs exploitations. D’ailleurs, il ne se trouvent pas en Afrique, mais ici, tout près. Notre envoyé spécial a donc très peu de preuves, et d’ailleurs, on ne lui laisse pas le temps d’en trouver. Par conséquent, nous, public, pensons qu’on aide en permanence l’Afrique mais que rien ne change : « C’est quoi ce problème permanent avec ces Africains? »
Cependant 90% du personnel médical de MSF au Congo est composé de locaux qui gagnent un salaire allant de 50 à 300 dollars par mois. Mais sur la photo, dans 80% des cas, c’est un médecin blanc qui sauve l’enfant. Les noirs qui aident ne sont que rarement exposés.
Je comprends bien qu’il s’agit d’une stratégique médiatique destinée à créer un lien entre le donateur européen et ceux qui ont besoin d’aide en Afrique. Mais tout ça crée un sentiment d’«afro-pessimisme». Cela nous mène à croire que ce continent est un grand puits sans fond dans lequel on verse en permanence de l’argent. Mais c’est l’Afrique qui pourvoit à nos besoins en permanence.

Vous insistez sur le fait qu’Enjoy Poverty ne constitue pas une oeuvre engagée. Pourquoi? Remettez-vous en cause la capacité de toute production artistique actuelle à pouvoir dénoncer quoi que ce soit?
Mon oeuvre n’est engagée que dans le sens où elle prend ses responsabilités individuelles, formelles et idéologiques. Comme toute oeuvre d’art, son engagement se situe dans la représentation d’elle-même. L’art traite de l’art. Si l’oeuvre d’art dénonce une réalité extérieure, c’est parce qu’elle se dénonce elle-même.

Le constat final d’Enjoy Poverty peut être résumé ainsi : les Africains ne pourront jamais s’enrichir car ils sont structurellement exclus du marché. Ils doivent donc accepter la situation et apprendre à apprécier leur misère. Est-ce votre point de vue? Etes-vous cynique ?
Il n’y a rien de cynique là-dedans. C’est un acte d’amour. Comme cela est dit dans le film, celui-ci est construit pour un public européen. C’est peut-être utile que les gens ici soient confrontés à un type qui va en Afrique pour dire aux pauvres qu’ « ils ne pourront jamais s’enrichir car ils sont structurellement exclus du marché, qu’ils doivent donc accepter la situation et apprendre à apprécier leur misère ».

Qu’en est-il de d’Episode 2?
Ce film est le plus difficile à faire, je me suis donc permis d’accumuler un peu d’expérience avec Episode 1 et 3 avant de l’amorcer. Il constitue le volet central d’une sorte de triptyque médiéval, dans lequel les panneaux extérieurs représentent -et reprennent par leur propre existence!- la cacophonie construite par l’homme, par ses désirs et ses angoisses. Mais bien entendu, ces volets penchent sur le tableau central, qui représente et -reprend par sa propre existence!- un tout autre état : le divin, l’amour éternel, etc… Tout ça, c’est pour Episode 2.


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5 commentaires:

  1. Je cherche l'épisode II. Un tuyau serait le bienvenu.

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  2. Ce monsieur fait dans l'art poubelle! Ces pseudo-films ne sont pas du tout à recommander.

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  3. felicitation à renzo martens tu as reussi à faire ce que pas plus de deux personnes dans la planete pouvait avoir le courage de revelé à la face du monde surtout en étant blanc.et je demenderais juste à avoir un contact direct avec toi car de le jour ou je visionné ton film enjoy poverty tu m'a permis à voir la vie et de comprendre la vie d'une autre maniere que je pense etre l'ideale.cedrickmbala2011@yahoo.fr

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  4. C'est de l'art et un acte d'amour ? Où est le vomitorium ? Ce monsieur est cynique malgré lui et en tous cas n'a aucune empathie pour tous les gens à qui il a balancé autant de saloperies l'air de rien. Drôle de conception de l'amour...

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