ENTRISME # 6


SOMMAIRE:

Nathan‟Brace Paine”Howdeshell Les derniers gossips de notre reporter-photo-jetable
Il a dit ‟Ferme tes fesses!” Des professeurs fayotent
Raymond Domenech
Enquête sur l’homme qui ne voulait rien dire
Gilles de Rais
Le serial killer trahi par un conte de fées, sa mémoire salie par le Conseil Général de Vendée
Le maniaque de la calandre
Les photos volées du carrossier arpenteur
La mappemondaine

Nos années compact
Une étude révèle que nous avons tous les mêmes souvenirs
Chinese Shining
L’Extrême-Orient serait à l’Est de Paris
La chambre à coucher sens dessus-dessous
Le futur serait un lit en portefeuille
La Satyriconne
Visite guidée de son dressing, entre bestiaire et caverne d’Ali Baba
Des mots cachés à écouter d’urgence
Playlist-jeu


------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------


Nathan‟Brace Paine”Howdeshell

Les derniers gossips de notre reporter-photo-jetable

Photos et légendes : Nathan Howdeshell



On a rencontré Nathan dans un club, il y a un peu plus d’un an, il était en promo à Paris avec Gossip. Bourré je lui avais pris la tête, accusant le groupe de s’être renié en se vautrant dans le mainstream, ce genre de conneries.
J’avais quand même réussi à le distraire et il avait fini par nous suivre en after chez Antoine. Il voulait qu’on lui tatoue le prénom de sa grand-mère - Louise - sur la poitrine, mais s’était finalement dégonflé, prétextant que la sangle de sa guitare l’irriterait trop violemment pendant leur concert du lendemain. On s’est revu l’hiver suivant, on a parlé de la Flash Cocotte et de Portland, de 10lec6 qui ouvrait encore une fois pour eux ce soir-là, de ses
potes qui faisaient des fanzines, c’est à ce moment-là que j’ai dû tilter. En mai dernier je lui ai proposé de jouer au reporter pour nous, et dans sa loge du Zénith on lui a remis cinq jetables, histoire de voir si ça valait vraiment
le coup d’être à sa place, genre rockstar. Etonnamment les appareils sont revenus. Sa vie est aussi incroyable que la nôtre. M.C



« Allez tous vous faire foutre, je ne vois pas de quoi vous parlez ! Je repasse toujours mon boléro et maintenant il est froissé ! Vous avez intérêt à me dire qui l’a porté ! »


Une aquarelle par Kim Gordon.


Batches of patches


Beth et son enfant adoptif.


Est-ce qu’on ne déteste pas ces mecs bourrés pendant une fête qui te disent :« Hey, prends une photo de moi ! Elle va être trop bien ! » ?


Sentiment d’amour en Suède.


Fille sur la droite : « D’où vient la laine vierge ? » Fille sur la gauche : « Je ne sais pas, d’où ? »
Fille sur la droite : « De moutons moches. »


Mec sur la droite : « Il faut combien de femmes pour visser une ampoule ? »
Fille sur la gauche : « Je ne sais pas, combien ? »

Mec sur la droite : « Une ».


Je croyais que c’était les mecs d’Oasis. Après une inspection poussée, il s’agit d’un groupe qui fait des reprises d’Oasis. Avec les mêmes faux accents flippants et coiffures qu’Oasis. Ils leur ressemblaient comme deux gouttes d’eau. C’était comme si ils étaient un groupe-de-reprises-d-Oasis né.


Si j’ai bonne mémoire, je crois que ce sont les chaussettes de Motorhead. Ils avaient aussi une caravane dans les backstage sur laquelle était écrit « Quartier du sexe ». Lemmy boit toujours une bouteille de whisky par jour.


C’est Toby Dammit. Il est dans le groupe de Jessie Evans. Il a joué de la batterie pour Iggy Pop dans les années 80 et raconte une histoire incroyable sur leur bus de tournée, retourné puis incendié lors d’un concert.


En ballade sur le tournage de Policiers Sodomites 2, Patrouille du Cul.


Kings of Leon live 2010


Chanteuse punk sur un canapé


Rick Rubin aime le Wu-Tang


C’est l’endroit où les paparazzi fument des cigarettes pendant leur pause déjeuner.


Siouxsie Sioux, Cleopatra & Beth Ditto. Les reines de l’eyeliner.


Statue sur la gauche : « Putain, ce job craint». Statue sur la droite : « Qu’est-ce qui est arrivé à ton nez ? »


Ce petit mec poilu de Cobra Snake a volé mon appareil à une fête. Je crois qu’il a pris cette photo.


La tour la plus splendide de Turquie.


Les accessoires d’épaule de Jessie Evans.


The Rolling Stoners


Le sud de la France = l’endroit le plus bandant de la nature. Les qualités de cette photo = un adolescent boutonneux et une mauvaise attitude.


C’est un groupe avec lequel on a joué en Espagne, « Heike has the giggles ». Ils étaient incroyablement jeunes et leur son ressemblait à « The AuPairs ».


« Quelles sont vos influences ? Je ne sais pas, quelles sont vos influences ? Je ne sais pas, quelles sont vos influences ? Je ne sais pas, quelles sont vos influences ? Je ne sais pas, quelles sont vos influences ? Je ne sais pas, quelles sont vos influences ? »


Il a dit ‟Ferme tes fesses!”

Des professeurs fayotent

Mathieu Chausseron



RAPPORT DE PROFESSEUR
Élève : Lauriane D. (5°2)

Cours : Français - Date : 15 octobre

Lauriane me regarde fixement et me dit à travers une vitre : « Oh, pas lui avec sa tête de chien ». Suite à cela, elle refuse de rester dans le couloir et décide contre mon gré de sortir s’amuser avec ses camarades.
M. L.


RAPPORT DE PROFESSEUR
Élève : Mohamed A. (3°1)

Cours : Français - Date : 12 septembre

Mohamed trouve intelligent de faire un bras d’honneur à son professeur en réponse à une consigne simple : « Vous rentrez dans la classe et pour vous calmer vous croisez les bras sur la table et vous mettez la tête dedans. » Transmis aux parents.
M. M.



RAPPORT DE PROFESSEUR
Élève : Abdoulaye S. (5°1)

Cours : Français - Date : 15 septembre

Abdoulaye se comporte d’une façon odieuse et insolente et perturbe le cours.
- Il mange en classe, laissant sous sa chaise les reliefs de son repas.
- Il chahute avec Yadaly, lui prête « pour rire » sa minerve et fait un scandale, hurlant dans les couloirs, lorsque je confisque cet objet.
- Il refuse de travailler, se lève sans arrêt pour distraire ses camarades et fait une crise d’hystérie, allant jusqu’à se rouler par terre en pleurant parce que j’insiste pour qu’il fasse le travail demandé.
M. R.


RAPPORT DE PROFESSEUR
Élève : Kadiatou D., Julien R., Karamba D. (4°2)
Cours : Anglais - Date : 22 octobre

La classe est perpétuellement agitée depuis de nombreuses semaines maintenant. Les élèves sont sans arrêt en train de poursuivre des conversations personnelles, absolument sans rapport avec le contenu du cours, et sur le ton de la polémique la plus véhémente, quel qu’en soit le sujet traité (coiffure, origine ethnique, métiers des parents, mots de vocabulaire dans une autre langue que l’anglais...). Cette fois-ci, pensant sans doute me faire plaisir, ils se sont interrogés sur le sens de l’expression « fuck you bitch ». Julien s’est alors écrié tout fort « pute ». D’une façon plus générale, les élèves se sont montrés grossiers, Kadiatou concluant ses propos par un « vos fesses » sonore, et Karamba par un « trou du cul » tout aussi retentissant.
Mme J.


RAPPORT DE PROFESSEUR
Élève : Samira O. (4°2)

Cours : Anglais - Date : 20 novembre

Refuse que Charlotte s’assoie derrière elle. Puis quand Charlotte l’appelle « Oasis », elle jette les affaires de sa camarade par terre, la traite de « caca », puis de « sale conne ». Quand j’ouvre son carnet, menace de « niquer » sa camarade, me dit que je n’ai qu’à faire un rapport.
Mme R.



RAPPORT DE PROFESSEUR
Élève : Jonathan L. (5°1)
Cours : Français - Date : 22 novembre

1. Entre dans mon bureau et affirme avoir fait ses heures de colle hier au collège, puis ne signe pas un papier reprenant cette affirmation et reconnaît finalement
ne pas y être allé.
2. Reconnaît avoir dessiné et découpé des sexes masculins puis les avoir « offerts » aux autres pendant les cours.
3. Reconnaît avoir dit fort en classe « suce ma bite » mais dit que cette injure était destinée à Olivier S.
M. L.


RAPPORT DE PROFESSEUR
Élève : Loïc R. (4°1)
Cours : Français - Date : 26 novembre

Loïc est entré en cours avec l’intention manifeste de le perturber. Il coupe la parole sans arrêt, n’écoute pas les remarques, ne veut pas se mettre au travail.
Puis, il me dit que de toute façon, il veut aller en permanence, qu’il en a marre de moi avec « mon vieux nez de hibou ». Je l’exclus donc de cours et demande une sanction pour attitude insolente.
Mme J.


RAPPORT DE PROFESSEUR
Élève : Samira O. (4°2)

Cours : Anglais - Date : 2 décembre

Samira s’est présentée déjà très énervée au cours d’anglais. En sortant du cours précédent, elle s’est mise à courir dans le couloir avec Julien R., jouant à cache-cache jusque dans l’escalier du fond. Arrivée en cours, elle n’a pu s’empêcher de bavarder au point de déranger ses camarades !!! Lorsqu’ils lui ont demandé de se taire, elle s’est fendue de quelques réflexions telles que « ta gueule », « ferme tes fesses », « tête sale » et « cochonne ».
Elle a bien entendu continué à bavarder et à s’amuser jusqu’à ce qu’elle soit exclue de cours.
Mme R.


RAPPORT DE PROFESSEUR
Élève : Loïc R. (4°1)

Cours : Français - Date : 6 décembre

Loïc, envoyé au tableau, a écrit « tu pues du cul ».
S’en est suivie une dispute houleuse.
Mme K.


RAPPORT DE PROFESSEUR
Élève : Samira O. (4°2)
Cours : EPS - Date : 12 décembre

Samira a reçu un volant de badminton dans l’oeil (incident involontaire et fréquent en badminton). Suite à cela, Samira a refusé de travailler et s’est énervée. Je lui ai alors demandé d’aller se calmer sur le bord du terrain. Elle s’est assise au milieu et m’a traitée de « pétasse ». Je ne peux pas tolérer de telles insultes et je réclame une sanction sévère.
Mme Y.


RAPPORT DE PROFESSEUR
Élève : Ali O. (4°2)

Cours : Anglais - Date : 16 décembre

Ali se permet à nouveau de crier en cours. Il s’amuse de mes remontrances et ne comprend pas quand je lui fais remarquer son insolence. Pour finir, se croyant spirituel, il lance à la cantonade « il est beau votre cul, Madame ! ». Pris sur le fait, il nie et prétend avoir adressé ces propos à Damien.
Mme B.



RAPPORT DE PROFESSEUR
Élève : Abdoulaye S. (4°1)

Cours : Mathématiques - Date : 18 décembre

Abdoulaye travaille de moins en moins. Il n’est jamais concentré sur son travail. Ce matin pour perturber le cours il ne trouve rien de mieux que d’émettre une flatulence très nauséabonde. A 10h sort puis rentre à nouveau dans la classe en courant après Loïc. Il refait la même chose à 16h30. Je demande au minimum une heure de retenue.
M. S.



RAPPORT DE PROFESSEUR

Élève : Karamba D., Kadiatou K., Julien R. (4°2)
Cours : Anglais - Date : 22 décembre

Je tiens à porter à votre connaissance les propos particulièrement méchants que ces trois élèves se sont permis de tenir à l’encontre de Charlotte G. qui essayait simplement aujourd’hui de suivre le cours : Julien : après l’avoir asticotée un bon moment et qu’elle se soit énervée: «Monstre ! » Kadiatou : « Grosse tête ! », « Crève et meurs ! », et « bon débarras ! » quand j’ai demandé à Charlotte de sortir pour se calmer. Karamba, après qu’elle soit descendue en permanence : « Elle va nous enfoncer ! », « Il faut l’exclure!».
Mme T.



RAPPORT DE PROFESSEUR

Élève : Kadiatou K. (4°2)

Cours : EPS - Date : 22 décembre

Après s’être faite remarquer au collège (s’amusait et s’agitait pendant l’appel, traînait et faisait attendre la classe), Kadiatou a continué dans le vestiaire en mangeant des Pépitos.
Elle m’a ensuite ordonné d’arrêter de la regarder avec mes « yeux de merlans frits ». Elle a prétendu ne pas savoir que cette expression est péjorative voire insultante. Il m’est difficile de la croire (étant donné son attitude générale et son manque de sérieux) et je demande une sanction afin que Kadiatou comprenne la démesure de ses propos et de son comportement.
Mme F.


RAPPORT DE PROFESSEUR

Élève : Fabian G. (4°1)

Cours : Histoire-Géographie - Date : 01 mars

Fabian pendant le cours d’Histoire n’arrêtait pas de parler, faire des signes, rire avec un élève qui est à l’autre bout de la classe. Je lui ai dit à plusieurs reprises de se taire. Lorsque je l’ai menacé d’une sanction, il a accusé l’autre élève en se plaignant que c’était lui qui l’empêchait de travailler (ce qui est totalement faux) et l’a même traité de « bouffon ». Je lui ai dit qu’il y avait une expression « pour se sauver certains vendraient père et mère » et là Fabian s’est levé, a dit que j’insultai sa mère. (...)
Je lui ai réexpliqué ce que signifiait ma phrase, il s’est levé et a quitté le cours sans autorisation. Je demande une heure de colle le vendredi matin de 8h à 9h dans ma classe. M. P.


RAPPORT DE PROFESSEUR

Élève : Mehdi R. (5°1)

Cours : Français - Date : 12 juin
Mehdi, sans aucun mot ni aucune raison, s’est levé, est allé ouvrir la fenêtre en montant sur une chaise et a passé une jambe à l’extérieur dans l‘intention de sauter. Je suis intervenue en l’attrapant par la jambe et aidée par deux de ces camarades, nous l’avons fait descendre. Je me suis assise à côté de lui en attendant l’arrivée du directeur avec lequel il est reparti.
Je n’ai pas pu imaginer ce qu’il allait faire. S’étant plaint d’un gros mal de tête, j’ai pensé qu’il allait ouvrir la fenêtre pour aérer. Dans la mesure où il n’est pas très grand, il a du mal à atteindre la poignée. Seulement, son geste était d’un autre ordre dans la mesure où il a tenté de se défenestrer.
Mme G.



RAPPORT DE PROFESSEUR

Élève : Tamara N. (6°1)
Cours : Technologie - Date : 22 septembre

Tamara a soulevé la robe de Karima pour que tout le monde voie sa culotte.

M.T.

Raymond Domenech

Enquête sur l’homme qui ne voulait rien dire

Crame


« Fuck you. Fuck la France. Fuck Domenech. » (Booba, Caesar Palace, 2010)

Raymond Domenech a été chargé par une fédération sportive de sélectionner les joueurs de l’équipe nationale entre 2004 et 2010. C’est une fonction très importante dans le pays, ce qui explique qu’il ait eu à s’exprimer à de nombreuses reprises auprès du public, via les médias nationaux et internationaux. Son personnage public est très mal passé durant ces années, et il porte aux yeux de nombreuses personnes une grosse part de la responsabilité des échecs de l’équipe lors des grandes compétitions de 2008 et 2010. Sa mauvaise communication est un des principaux reproches qui lui sont faits. Au fait, que disait-il ? Que / voulait-il / nous / dire ?

Voici quelques extraits de ses prises de parole en présence de caméras durant les dernières années de son passage à la direction de l’équipe de France de football. Ces extraits sont dépouillés de la majeure partie de leur contexte, pour tenter de connaître, paradoxalement, leur juste place.

1er avril 2008
Vidéo de la Fédération française de football


« On a beaucoup réfléchi. C’était pas évident, mais on s’est dit que finalement, la saison est très chargée pour les joueurs. Donc on a réfléchi, on s’est dit ‘à quoi ça sert d’envoyer une équipe de France à l’Euro qui ne sera pas compétitive ?’. Le mieux, c’est de dire ‘on n’y va pas’, c’est tellement plus simple. « Je préfère me préparer directement pour la Coupe du Monde avec une équipe qui aura vraiment envie, plutôt que de s’épuiser encore, deux ans avant la Coupe du Monde, dans une compétition où on n’aura pas eu le temps de se préparer. »

C’était un gag du premier avril. On dit que tous les Français pensent être les meilleurs sélectionneurs de l’équipe de France de football. Raymond Domenech a-t-il occupé le poste que tout le monde méritait plus que lui ?

17 juin 2008
Interview d’après-match

« Pour toutes les erreurs, je pense que je lirai les journaux demain, je pense que ce sera plus vite fait. »
« Bon allez, salut. Tu me gonfles, là. »

1000 questions, 1000 explications, 1000 moments d’incompréhension, 1000 désaccords, 1000 silences, 1000 reproches. A la même époque, dans les entreprises, dans les administrations, les salariés passaient des « entretiens annuels d’évaluation ». Que se passait-il vraiment lorsqu’on n’atteignait pas les objectifs fixés ?

Autre interview à l’issue du même match

« Rien. J’ai juste une chose à dire, là, aujourd’hui, c’est… J’ai fermé la parenthèse, j’ai qu’un seul projet, c’est d’épouser Estelle. Donc c’est aujourd’hui que je lui demande vraiment. Je sais que c’est difficile, mais c’est dans ces moments-là qu’on a besoin de tout le monde et j’ai besoin d’elle. »

En 2010, on disait encore qu’il prenait tout le monde à contre-pied. Comment peut-on prendre l’autre à contre-pied plusieurs fois de suite ? Le pas ne s’adapte-t-il pas automatiquement ? Ne s’habitue-t-on jamais vraiment aux gens ? Est-ce que certaines personnes sont toujours décevantes, toujours dans la loose même lorsque leur situation est la plus enviée ?

18 juin 2008
Conférence de presse


« Pardonnez-moi d’avoir eu un brin d’humanité à un moment où j’aurais du rester froid, professionnel. J’ai eu ce moment… oui, d’humanité, derrière ma carapace de sélectionneur, j’ai eu un moment une lueur, et j’ai eu envie de dire aux gens que j’aime que, c’est vrai, que je les aime, et c’est dans les moments difficiles où j’ai toujours cette réaction. »
« Si j’avais réfléchi deux secondes, je me serais dit ‘attends, qu’est-ce qu’ils vont me dire les autres, derrière !’ Je me serais tu encore pendant quelque temps. »

Un ancien joueur de l’équipe nationale, Christophe Dugarry, passé consultant, avait dit en 2009 : « Ce qui m’agace avec Raymond, c’est qu’on ne parle que de sa communication, et on ne parle jamais football. » On parlait de ce qu’il disait, et lui aussi parlait de ce qu’il avait dit. Il disait que ce qu’il disait servait, tantôt à protéger les joueurs de son équipe, tantôt à dire aux gens qu’il aimait qu’il les aimait.

Septembre 2008
Conférence de presse


« Bonjour à tous, et à toutes. Il y a du monde, aujourd’hui. Ah oui, c’est vrai, l’odeur du sang vous intéresse. Je vais peut-être m’arrêter. C’est même pas du premier degré, aujourd’hui. C’est du deuxième degré. Non, c’est l’inverse, c’est l’inverse. Enfin, je suis content d’une seule chose – là, je peux vous dire, je suis vraiment heureux d’un truc : c’est que les lois d’exception et la guillotine n’existent plus, parce que sinon j’en vois quelques-uns ici qui se seraient fait un malin plaisir de m’envoyer sur l’échafaud. Mais bon, j’ai tué personne ; mais bon, peut-être que j’aurais été mieux servi si j’avais tué quelqu’un, j’aurais eu des circonstances atténuantes. Nous n’en avons pas, et j’ai pas l’intention ici de débattre de mon sort, je vous préviens tout de suite : je viens ici pour parler de l’équipe de France, du match de mercredi. Tous ceux qui ont des questions à ce sujet-là, je réponds. Pour les autres, vous savez ce que j’en pense. »

« Enfumer ». « Botter en touche ». « Renvoyer les journalistes dans les cordes ». « Avoir des phrases malheureuses ». La « communication » de Raymond Domenech avait été modélisée par les médias. Elle ne ressemblait pas à celle, formatée, de ses contemporains, sportifs, politiciens, agents de l’industrie du divertissement. Elle bénéficiait de son format propre.

Février 2009
Plateau, émission « Canal Football Club »


« Je n’essaye pas de vous enfumer. Vous voulez qu’on parle de football. Je parle toujours de football. C’est vous qui avez fait un reportage sur ma communication. » « A chaque fois, je suis obligé presque de me défendre sur moi. J’aimerais qu’on m’oublie. J’aimerais complètement qu’on m’oublie et qu’on parle des joueurs de l’équipe de France. » « On a l’impression que je veux enfumer tout le monde. Je ne veux enfumer personne. Quand je dis qu’il a déjà joué, quand je dis qu’il y a un suspendu, quand je dis qu’il y a un blessé, c’est la réalité. Alors peut-être qu’on me dit que cette réalité, je dois la changer, la transformer ; j’essaye. J’essaye de faire que ça soit le mieux possible. J’essaye de faire avancer l’équipe, parce que ce qui m’intéresse, c’est ce qui intéresse tous les gens qui s’intéressent au football, ce que l’équipe de France marche, qu’elle fonctionne, que ce soit avec moi, avec un autre, avec n’importe qui. Je suis le premier défenseur de l’équipe de France à l’heure actuelle et je le resterai éternellement. »

Raymond Domenech méritait-il le quart de l’attention que le pays lui portait ? Quelques mois après la fin de sa mission de sélectionneur, certains s’amusaient du fait qu’il ait été vu sortant d’une agence Pôle Emploi, lieu fréquenté par des personnes au chômage. L’image était frappante. Chômeur ou en activité, n’aurait-il pas simplement dû rester un nobody ?

Mai 2010
Interview, émission « Téléfoot »


« C’est pas ‘je regrette’ ou ‘je regrette pas’, ‘est-ce que c’est jouable’ ou ‘est-ce que c’est pas jouable’, je veux dire, est-ce qu’on peut toujours expliquer un truc d’une manière ou d’une autre ?»

Si c’est vrai qu’il « nous enfumait », alors quels étaient les ressorts de la manipulation à l’œuvre ? Quels objectifs servait-elle ? Et qu’en a-t-il tiré ?

Juin 2010
Plateau, sur TF1

« Il nous reste un match. Laissez-nous vivre encore deux-trois jours avec un peu d’espoir. » « Vous me reprochez souvent de ne pas donner d’explications. Je suis là pour ça, et vous ne parlez que des ragots et des bruits qui tournent autour de l’Equipe de France. » « A un moment, quand un sélectionneur, un entraîneur, là en l’occurrence c’est moi, dit quelque chose à un joueur, qui est déjà sous pression, qui peut s’énerver, qui peut avoir un moment d’énervement, et qui a des mots, mais l’objectif c’est de se dire, c’est pas ce qui se passe là à l’instant. Pour moi, c’était insuffisant, ce qu’il faisait ; je lui ai dit. Ça me paraît normal, jusque-là. Lui, il réagit d’une manière, peut-être pas la plus adaptée, mais en fonction de son caractère. Mais c’est pas un affrontement. C’est le mec qui est assis et qui marmonne, et qui dit des trucs comme ça, ça n’a pas d’importance. L’importance, elle est venue parce que c’est à la une d’un journal. »

A certains moments, ce qui se jouait sur des pelouses et à leurs abords se confondait avec ce qui se jouait dans la société française. Pour certains commentateurs très écoutés, l’équipe dans son ensemble ou certains de ses membres devenaient les symboles du pays entier, d’une génération, d’une génération dans certaines zones d’habitat ou de certaines origines, voire le reflet de l’état d’esprit et des valeurs du pouvoir en place.
Raymond Domenech pouvait-il aussi être analysé comme le miroir – couvert de crachats – de son pays ? Quelle fraction ou tendance de la société sa personnalité, son comportement incarnaient-ils ?

21 juin 2010
Conférence de presse

« Même si je vous le dis, vous ne me croirez pas, donc je vous le dis quand même. » « J’ai 22 joueurs, je pense que le mot ‘confiance’, il n’a plus lieu d’être à ce niveau-là, ça ne veut rien dire. J’ai pas à leur faire confiance, ou pas faire confiance. J’ai à les mettre dans une situation pour qu’ils soient le plus efficaces possible encore une fois, et c’est pas facile aujourd’hui mais c’est comme ça. A eux maintenant de montrer sur le terrain qu’ils se sont rendus compte quelque part de ce qu’ils avaient fait – et ils s’en sont rendu compte petit à petit ; ils ont pris conscience de l’ampleur de ce qu’ils avaient fait – et qu’ils savent que le seul moyen de rattraper le coup, c’est d’être performant sur le terrain et de montrer quelque chose et de jouer à fond l’infime chance minime qu’il y a encore de rêver. »

A quel moment sait-on que les mots sont inutiles ? Et ceux qui sollicitent ces mots le savent-ils ? Il parlait, les mots formaient des tas, et il ne disait rien, vraiment.

Gilles de Rais

Le ‟ serial killer” trahi par un conte de fées, sa mémoire salie
par le Conseil Général de Vendée

Comité central et Romain Charbon

De 1432 à 1440, lorsque les jeunes garçons entraient dans le château de Tiffauges, ils n'en ressortaient en général jamais. Violés, égorgés puis brûlés, leur disparition ne faisait ensuite pas beaucoup de bruit. Enfants du peuple à l'époque féodale, ils n'avaient en gros pas plus d'importance qu'une biche.
On ne se serait pas imaginé que derrière ce château, avec cette chapelle, ces orgues, ces tapisseries, ces diacres, on pratiquait la sodomie et on invoquait le diable. Des bruits couraient et l’on s'en doutait peut-être mais le baron à cette époque était tout puissant et les meurtres auraient pu encore durer longtemps si Gilles de Rais n'avait pas dilapidé son immense fortune.
Gilles de Rais a 16 ans lorsqu'il s’installe à Tiffauges. La forteresse est le douaire de Béatrice de Montjean dont il enlève et séquestre la fille, Catherine de Thouars, afin de se marier avec elle deux ans plus tard. Mais ce n'est qu’après avoir menacé de coudre Béatrice dans un sac et de la jeter à la rivière qu’il entre pleinement en possession du domaine.
C'est dans cette période propice à l'émancipation des femmes que Jeanne d'Arc entre en jeu. Brillant chef de guerre, Gilles est appelé à ses côtés. Ensemble, ils libèrent Orléans et font sacrer Charles VII à Reims. Gilles est fait Maréchal de France. Il est au sommet de sa gloire.
Les premiers crimes avérés ont lieu un an après la mort de Jeanne. La région connaît la disparition mystérieuse de ses plus beaux garçons. Champtocé, La Verrière, Machecoul, Pornic, Saint-Etienne-de-Mermorte, Pouzauges... Les résidences de Gilles sont assez nombreuses pour cacher les ossements.
Au fur et à mesure que ses crimes se multiplient, le faste et la magnificence entourant Gilles s’accroissent. Il aime le spectacle, le luxe. Il a toujours su divertir son peuple. Il dépense des fortunes dans des représentations théâtrales diverses : mystères, jeux, farces, moresques, moralités, où les costumes rivalisent de beauté et d’extravagance. Pour les fêtes de Jeanne d'Arc de l'année 1435, il fait disposer du vin et de l'hypocras sous les échafauds qui portent les décors et la scène, et fait servir aux spectateurs les mets les plus excellents.
Bientôt, Gilles manque d'argent. L’alchimiste Prelati est amené d'Italie et pose ses valises à Tiffauges. Celui-ci s'entretient souvent avec le Diable qu'il appelle « Baron », mais, contre toute attente, peine à changer le plomb en or. Gilles est fasciné par Prelati . Lors de leur condamnation à mort, il donnera naïvement rendez-vous au charlatan aux portes du Paradis.
Entre temps, Gilles s'est fait des ennemis, il est ruiné, les autres seigneurs sont au fait de ses agissements. Il se trouve rapidement inculpé.
Comme Jeanne, il est emmené au bûcher. Il avait obtenu du tribunal que son corps soit inhumé ; on le retire donc des flammes et il a droit à des obsèques de prince. La population, qui s’était prise d'affection pour son bourreau, fait une longue procession et construit un monument funéraire dédié à sa mémoire.
Selon Michelet, l'histoire de Gilles de Rais serait à l'origine du conte de Barbe-Bleue que les nourrices racontent à leurs enfants pour dire qu'il n'est pas bon d'être curieux, surtout pour les petites filles. Les habitants de Tiffauges, Machecoul ou Champtocé le croient encore et appellent les ruines qui restent sur leurs collines le château de Barbe-Bleue. On ne raconte plus que Gilles de Rais séquestrait des heures entières ses jeunes proies, jouissait sur leurs ventres, les regardait mourir en les égorgeant, et s’allongeait sur leurs corps jusqu'à ce que toute chaleur s'en échappe.




Le visiteur est accueilli par un panneau d’informations annonçant fièrement « inédit, 3h d’animations », alors qu’il semble que dans d’autres endroits en France, par exemple dans les centres aérés, il est possible de dénombrer facilement trois heures d’animations. Passé l'entrée il est invité à se promener entre des ruines encadrant un vaste espace gazonné. Quelques animateurs, costumés en personnages du Moyen-Âge (t-shirt à manche longues XL, grosse ceinture, leggings, bottes molles), se tiennent çà et là près d’écussons de bois dont l’un, au design très années 20, est aux armes de la Bretagne, bien que nous soyons en Vendée. Un fond sonore continu diffuse une musique médiévale faite de flûtiaux et de percussions indéterminées.
Une table est dressée dans l’herbe. Deux femmes, habillées en laitières, dédicacent leur livre sur les contes et légendes de la Vendée. Elles précisent que certaines légendes sont inventées sinon il n'y en aurait pas eu assez pour remplir un livre. L’une d’elle peint des paysages à la gouache pour passer le temps. L’autre mange des biscuits Lu tirés d’une boîte format familial.
Lorsqu’il n’y a pas d’animation de tir à la catapulte (toutes les demi-heures), tout le monde semble désœuvré, à la recherche de quelque chose à regarder. Des touristes se pressent dans une cave indiquée par un panonceau « Cave ». Un enfant fait remarquer avec justesse à ses parents qu'il n'y a là que quelques tonneaux vides. On déambule sur les promontoires qui donnent sur une salle où l’on peut détailler des reproductions de cartes postales agrandies et affichées dans une pièce. Elles représentent le château tel qu’il était il y a un siècle, c’est-à-dire identique à aujourd’hui.
Plus loin se trouve le « laboratoire d’alchimie » où Gilles de Rais était censé mener d’ésotériques recherches mais qui était plus probablement une chambre quelconque. On y découvre un mannequin de bois, mal assis derrière un pupitre, recouvert d’une coule monastique, qui consulte des grimoires. Il est entouré de divers objets, de fioles, de brocs, de béchers en grès et d’une bibliothèque éclectique et poussiéreuse dans laquelle on ne serait pas étonné de voir traîner une vieille carte routière. Son vêtement est mis de telle manière qu’il dissimule entièrement le visage du mannequin ; les visiteurs défilent silencieusement devant cette scène. Heureusement, un miroir relié à un système électronique fait de temps en temps apparaître en son centre un portrait de Gilles de Rais, et fait s’extasier les gens incrédules devant ce miracle du XXIe siècle. La salle se vide alors immédiatement après l'apparition.
À la fin de la visite, personne n’oublie d’aller à la boutique près du cinéma 3D installé dans un bout de bâtiment. On y trouve une édition du mystère de la Charité de Jeanne d'Arc de Charles Péguy au milieu de reproductions de pièces d'armures qu'on peut s'offrir à partir de 500 euros. Mais les familles préfèrent acheter un Cornetto à la tenancière qui annonce le prix des sucreries avec un bonnet à grelots.

Le maniaque de la calandre

Les photos volées du carrossier arpenteur

Benjamin Lafore




La série est un relevé monomaniaque de détails signifiants. Résultats d’une cartographie systématique d’une trajectoire urbaine, ces photos d’iPhone sont des compréhensions simultanées d’automobiles de série. Les nervures des carrosseries, les all-over de matières et les monochromes particularisants deviennent des indices à collecter ou un catalogue à déployer. D’aucuns ne seront surpris d’identifier la couleur Bronzite d’une BMW 750iL, les montants de portes argent d’une Renault 25 Baccarat mitterrandienne, la radicalité d’un flanc de Volvo Break, le phare edge design d’une Ford Focus, le vert métallisé d’une ZX Volcane, les galbes nerveux d’une Lancia Delta nouvelle génération, un fragment de calandre néo-rétro d’une Jaguar XJ version 1999 ou encore l’angle mou du coffre d’une Renault Laguna I post restyling.

La mappemondaine

Benjamin Lequertier
avec les contributions de : Adrien Aboudarham, Jean-Christophe Arcos, Anne Liebmann, Romain Charbon, Comité central, Crame, Célia Salsi

cliquez sur l'image pour zoomer


Nos années compact

Une étude révèle que nous avons tous les mêmes souvenirs

Antoine Capet, Benjamin Lequertier, Mathieu Chausseron, Crame















Chinese Shining

L’Extrême-Orient serait à l’Est de Paris

Mériadek Caraes

Qu’il semble lointain le temps des fastes et de la splendeur de Chinagora, quand pétards et feux d’artifice annonçaient l’ouverture de cette Chine aux portes de Paris en 1992. Restaurant-karaoké, galeries commerciales, salles d’expositions, de conférences, de réceptions, jardin zen, tout est désormais fermé. Seul l’hôtel 3 étoiles reste ouvert, offrant un dépaysement bas de gamme aux cars de touristes polonais visitant la capitale. Toits pagodes, statues de lions, dragons, vases en porcelaine, réplique de l’enceinte de la Cité Interdite, tout avait été fait pour rappeler l’Empire du Milieu. La Seine et la Marne faisant office de Mékong. Très vite tombé en désuétude, Chinagora est devenu le repaire des triades, ses pilotis de béton offrant un abri aux SDF et aux toxicomanes.
A 21h, dans les couloirs de l’hôtel, pas âme qui vive. Réfugié dans ma chambre, le petit poste de télévision pour seule compagnie, je zappais entre pornos hardcores et performances de chanteuses populaires chinoises. Au petit matin, depuis ma terrasse, le jardin intérieur offrait un spectacle de désolation : bassins à sec, fontaines hors-service, la végétation n’avait plus rien de luxuriant... Je n’aurai finalement pas goûté aux charmes de l’Orient, loin des fumeries d’opium du Lotus Bleu. Je n’aurai pas résolu les mystères de Pékin, laissant une question sans réponse : Etait-ce bel et bien Shaolin le meurtrier ?




La chambre à coucher sens dessus-dessous

Le futur serait un lit en portefeuille

Julien Perez

Quand j’étais enfant, je souffrais de terreurs nocturnes, si bien que je passai, jusqu’à mes dix ans, nombre de nuits sur le canapé du salon. Ma chambre à coucher, ce terrain de jeu sur lequel je m’adonnais sans appréhension à mes élucubrations enfantines toute la journée, une fois changée en vacuum par l’extinction des feux, s’emplissait d’une insupportable présence fantomatique que je reconnus, des années plus tard, comme étant la mienne. En nul autre lieu, je ne fus pour moi-même une telle hantise. Et pourtant, la chambre à coucher est bien ce lieu où l’on se retrouve, où l’on se repose, où l’on reprend son souffle. C’est ainsi qu’on la vend, c’est la meilleure façon de la vendre. La chambre à coucher c’est l’espace du répit. Je me demande alors : qu’y mettons-nous en suspens ?

Au cours du XXème siècle, la chambre à coucher s’est imposée au sein de l’habitat occidental comme espace indispensable de la vie privée et du repos. Dans Une chambre à soi de Virginia Woolf, la chambre personnelle permet l’épanouissement de la vocation littéraire de la femme. Quelques années plus tard, à Istanbul, dans la chambre 411 du Pera Palace, Agatha Christie écrit Le crime de l’Orient-Express. Au même moment, la chambre à coucher d’un couple de quidams se change en sanctuaire de la jouissance et de la reproduction, suivie de près par la chambre-mitard réservée à l’enfant turbulent. Chez les détaillants mobiliers et dans les catalogues de décoration d’intérieur, on travaille contre la chambre à coucher brinquebalante que peignait Van Gogh au siècle précédent. En tête de liste de l’annonce immobilière, on peut déjà voir écrit grande chambre à coucher, calme, avec vue sur le parc.

L’importance récente de la chambre à coucher circonscrit en ce lieu, pour la majeure partie de la population, un certain nombre d’activités, allant de la vie sexuelle à la délectation intellectuelle, qui étaient auparavant disséminées dans l’ensemble de l’habitat. L’existence d’une pièce exclusivement dédiée au sommeil n’est pas toujours allée de soi. Aujourd’hui, il est communément admis qu’il en va du bien-être psychique de chacun. Or, on peut supposer que ce repli de l’individu dans cet espace privé-fermé au sein de l’espace privé-ouvert constitué par le reste de l’habitat n’est pas sans conséquences.

La chambre à coucher ayant été consacrée comme espace privilégié de méditation, toute la pensée qui y est produite semble rabattue, comme par suggestion architecturale, sur le domaine du rêve, et ainsi découragée de son éventuelle concordance avec un projet commun. Si l’on peut, sous certaines conditions, faire valoir la nécessité d’une chambre personnelle pour penser à son aise, on peut également soumettre l’idée selon laquelle ce qu’on y pense y somnole. La chambre est parfois le lieu de l’épanouissement personnel, elle est aussi, incontestablement, le sas de décompression du travailleur harassé, le mouroir de l’amoureux trahi, l’espace du pétage de plombs, premier lieu du passage à l’acte en ce qui concerne les suicides à domicile et les homicides passionnels. Seul dans une chambre, jamais les tensions liées au monde social ne se transforment en dispositions politiques, pas plus que la morgue et l’amertume ne se changent en amour, car le sommeil rode, prêt à nous faire ravaler notre courage. Le lendemain, je quitte rarement mon lit avec détermination.

Puisque rien ne sort de la chambre, il faut bien aller y chercher ce que l’on veut. Dès lors qu’il est admis que la chambre est le sacro-saint du privé, aussitôt sa violation culturellement condamnée, ce grand débarras à secrets devient le terrain de chasse des enquêteurs en tout genre car ils savent qu’ils y trouveront, immanquablement, des pièces à conviction. Nous pourrions dresser une liste interminable des faits divers, livres et films dans lesquels armes du crime, amants, lettres compromettantes, magots, produits illicites et lectures subversives sont découverts sous le matelas, sur la table de chevet, dans la commode ou le placard.

On aurait donc tort de croire que la chambre à coucher est une affaire strictement personnelle, elle participe, par ses capacités d’isolation et de localisation, à la gestion globale de la population.

Il n’existe pas de statut juridique de la chambre à coucher et il semble difficile de légiférer à l’intérieur de l’habitat. En revanche, les ondes sonores alentour, qui peuvent aisément en traverser les murs et atteindre la chambre à coucher, tombent, depuis la fin du XXème siècle, sous le coup de la loi. L’axiome de cette abondante législation relative au sommeil pourrait être interprété de la manière suivante : passé une certaine heure, il est du devoir de chacun de retrouver sa chambre. Des mesures anti-bruits jadis réservées aux hôpitaux s’étendent à l’ensemble de l’espace urbain, l’éloge du sommeil de plomb relève désormais du civisme. La nuit, la loi protège celui qui dort, son corollaire : cauchemar, insomnie et somnambulisme ne sont jamais que des pathologies du sommeil, traitables par les laboratoires pharmaceutiques.

Je voudrais maintenant poursuivre cette recherche en pariant sur le cinéma, art de masse par excellence, qui pétrit l’inconscient collectif autant qu’il en est le réflecteur.

Le sommeil de plomb est précisément au cœur d’Inception, film de Christopher Nolan unanimement salué par la critique. C’est un sommeil vidé de son sens, si bien qu’il s’annule en tant que sommeil. En effet, dans Inception, dormir est un job. C’est peut-être là tout l’intérêt du film : substituer la vie active, dans tous les sens de l’expression, à l’expérience onirique tout en soutenant, bec et ongles, que nous avons bien affaire à la seconde. Cobb, le personnage principal interprété par Leonardo DiCaprio, est un professionnel de l’ « extraction », technique consistant à pénétrer dans l’inconscient d’autrui pendant son sommeil pour y subtiliser un secret. Le sommeil n’est plus le garant de l’intégrité du moi mais un champ de bataille où l’on défend des intérêts économiques. En effet, puisque l’ « extraction » pratiquée par Cobb est devenue le principal moyen de l’espionnage industriel, les personnes susceptibles d’en être les victimes sont formées pour défendre, pendant leur sommeil, les informations qu’elles détiennent.

L’invasion du domaine onirique par les enjeux du monde du travail est loin de s’arrêter là. Etant donné la complexité de la tâche à accomplir, Cobb doit s’entourer d’une équipe de gens qualifiés (un chimiste pour les sédatifs, un responsable stratégique pour planifier l’entrée par effraction dans l’inconscient de la victime, un dream designer pour le dream design ), connectés les uns aux autres au cours de l’opération (Intranet).

Enfin, la psychologie simpliste à laquelle fait appel l’équipe pour mener à bien sa mission est celle-là même qui œuvre au sein du monde du travail contemporain, limitant son investigation éclair à ce qui freine la performance du travailleur (Cobb doit se débarrasser de ses remords de veuf pour arriver à ses fins professionnelles) ou le forfait du concurrent (Cobb parvient à orienter la décision de l’héritier d’une multinationale en lui réglant son Œdipe).

Inception ne s’intéresse pas au rêve, il n’en épouse que très rarement la logique ; à savoir, seulement lorsque cette dernière concorde avec celle du montage d’un film d’action du XXIème siècle et permet d’en amplifier les effets (les flashbacks à répétition, les cascades en apesanteur, le montage alterné à plusieurs vitesse de la scène finale, la bande-son sursignifiante). A de multiples reprises, Christopher Nolan fait mine de contaminer la rationalité de ce qu’il montre par la puissance dérangeante du rêve (le plan final sur la toupie), pourtant celle-ci ne cesse de surplomber le film. Les comportements des personnages et leurs motifs ne sont jamais équivoques, la moralité de Cobb est sauve puisqu’il accepte une dernière mission dont le but est d’empêcher la mise en place d’un monopole économique, rétablissant ainsi le jeu de la libre concurrence. Les transformations architecturales et les contractions temporelles n’obéissent pas à la logique paradoxale du rêve mais sont l’œuvre des dream designer. Même l’esthétique et les situations de type jeu-vidéo, aussi fantaisistes soient-elles, suggèrent que les actions des personnages sont réalisées dans les limites d’un gameplay – développé au préalable par un game designer, implanté par un programmeur – et se font donc dans un environnement pleinement contrôlé. En réalité, Inception œuvre avec rage contre la dynamique ambivalente et délirante du rêve, et, en cela, fait écho au fantasme de maîtrise de la psychologie du travail. Au terme de l’aventure, les états antinomiques de veille et de sommeil se trouvent réconciliés grâce à la continuité du travail. Prenez K.Dick et Burroughs, remplacez le LSD par du Lexomil et du Narcozep, vous obtiendrez la culture d’entreprise. C’est ce que semble nous dire Inception.

Qu’en est-il alors de la chambre à coucher ? Le film ne nous en montre qu’une seule, au sens classique du terme, c’est la chambre dévastée que nous apercevons dans les souvenirs de Cobb et de laquelle son épouse, persuadée d’être toujours dans un rêve, se défenestre. La chambre à coucher est le lieu d’effondrement de l’individu ne parvenant plus à supporter ses conditions d’existence.

A ce modèle obsolète, dangereux terreau de psychoses, Inception oppose une chambre à coucher qui se résume à un simple dispositif technique d’assistance au sommeil. Cette chambre à coucher minimale, réduite à une machine soporifique que l’équipe de Cobb trimbale aux quatre coins du monde, devient donc mobile. Bien sûr, le décloisonnement qui en découle n’est pas un retour à l’ordre ancien. On ne retourne pas dormir dans la salle commune, on dort là où le travail nous porte : chambres d’hôtel, salons de détente, trains, avions.

La chambre singulière disparaît. Dans Inception, le salut de Cobb, traqué et accusé à tort du meurtre de sa femme, ne passe pas par sa capacité à prouver son innocence mais par les services rendus à un potentat économique suffisamment puissant pour faire que cette chambre à coucher – qui hante le personnage et qui demeure, aux yeux de la justice, une scène de crime – sombre dans l’oubli. La morale de l’histoire devient alors intéressante car inattendue à l’heure où l’on pointe du doigt la souffrance au travail : ici, le sommeil est au mieux une perte de temps, seul le travail soigne et blanchit.

C’est alors qu’Inception nous révèle quelque chose sur la manière dont la nature de la chambre à coucher s’inverse au fil des siècles. Alors qu’au Moyen-Âge, celle-ci constitue, pour ce qu’il y a de plus précieux, l’ultime rempart contre les invasions du monde extérieur, elle est aujourd’hui le trou noir dans lequel l’ensemble de l’habitat est aspiré jusqu’à ce qu’il ne reste quasiment rien – que l’on songe aux hôtels capsules japonais – qui ne sépare l’individu de son lieu de travail. Définition future : la chambre à coucher est le lieu où se neutralise l’individu lorsqu’il n’est pas à son poste.

La véritable question est donc la suivante: que devons-nous mettre en suspens au dortoir ? Dans une interview pour Screencrave, le journaliste s’interroge sur l’absence de l’aspect sexuel et absurde du rêve dans Inception, et Christopher Nolan répond :

« Il existe certains aspects des rêves – l’analyse des rêves, la manière dont on doit les présenter dans le film – que l’on se doit d’éviter quand on travaille sur ce genre de film d’action car ils seraient soit trop dérangeants, soit trop comiques. »

Christopher Nolan est un cinéaste poltron, d’autres le sont moins. Revenons à la chambre de l’enfant, emplie de cette présence hostile. Maintenant regardons l’enfant grandir, et cette présence s’incarner. Les pales du ventilateur tournoient au-dessus du lit de l’adolescente et soudain une voix se fait entendre, le sommeil gagne, et des griffes acérées surgissent dans l’entremêlement des draps, la porte vole en éclats, et le croque-mitaine géant entre en scène. Twin Peaks, Les griffes de la nuit, et Halloween, chacun à leur manière, s’attaquent à la fonction de refuge de la chambre à coucher et en font le champ de bataille du passage à l’âge adulte.

On peut d’abord remarquer que les trois sagas introduisent leurs célèbres démons de façon assez similaire. Bob, Freddy Krueger et Michael Myers ne font pas d’entrées fracassantes dans les vies de leurs victimes, ils s’y immiscent petit à petit, précédés de présages, aperçus au détour d’une allée, résidus flous d’un mauvais rêve, aussi insaisissables qu’un sale pressentiment. En fait, ils ont toujours été là. L’ignoble est ancestral. Bob n’est autre que le père de Laura Palmer. Freddy Krueger a déjà terrorisé Nancy Thompson lorsqu’elle était enfant. Michael Myers est le demi-frère de Laura Strode. Cependant, lorsque les jeunes filles fouillent dans leurs souvenirs, elles ne se heurtent qu’aux imperfections de la mémoire. Dans leurs chambres à coucher, les futures victimes ruminent à en perdre le sommeil le bouleversement à venir. Le lendemain, leurs parents, professeurs et employeurs ne font que constater leurs cernes qu’ils mettent sur le compte de soirées trop arrosées, le monde des adultes semble totalement indifférent au mal qui guette les jeunes gens.

La chambre à coucher n’a plus rien d’un havre de paix cosy où la présence des objets chéris accumulés au cours de la vie participe au maintien et à la continuité du moi, les différents éléments qui la composent sont désormais autant de signes funestes : peluches lacérées, pages de journal intime arrachées, et toujours les murmures du ventilateur qui semble brasser des fantômes. La chambre à coucher devient le lieu où la cohérence du monde est remise en question. La brèche est ouverte. Au petit matin, le familier a disparu, l’architecture du chez soi est définitivement perméable. Bob enjambe la fenêtre, Freddy prend corps dans la salle de bain, Michael Myers planque dans le dressing. A partir de là, c’est le monde entier qui déconne et le seul moyen de sauver sa peau est d’en accepter la logique délirante. Alors qu’Inception nous assène que le rêve est une mauvaise réalité, dénuée de pudeur et de rigueur, ces films nous montrent que la réalité a tout d’un mauvais rêve, incompréhensible, violent et amoral.

Le passage à l’âge adulte n’a jamais été un processus naturel, c’est un passage forcé et brutal qui nécessite des adultes pour que les adolescents le deviennent à leur tour. Twin Peaks, Les griffes de la nuit, et Halloween sont autant de mises en scènes du meurtre de l’innocence. Là où Inception invoque mollement le meurtre du père, ce trio propose une thèse autrement plus intéressante : le meurtre systématique de l’enfant. Bob est l’avatar d’un père incestueux et tueur de prostituées, Freddy est la version cauchemardesque d’un pédophile, Michael Myers commet son premier meurtre à l’âge de six ans lorsqu’il surprend sa sœur au lit avec un amant. Si les parents semblent ne pas comprendre les maux de leurs rejetons, nous apprenons par la suite que cette incompréhension est feinte. Les parents connaissent les croque-mitaines. Ils savent qu’en tant que parents, ils se doivent de regarder l’enfant périr, sans broncher. La chambre de l’adolescent rentre alors en conflit avec le reste de l’habitat, dont l’organisation et la décoration relèvent des goûts parentaux. C’est un refuge, certes, mais l’assaut est imminent.

C’est peut-être dans cette position inconfortable que l’on tient la chambre à coucher, lorsque nous sommes écartelés entre celle des parents et celle de l’adolescent, attentifs à la manière dont elles se mettent en crise mutuellement. Nul répit dans la chambre à coucher, mais de la récupération d’énergie : c’est là que la force de travail se régénère, que l’acceptation des conditions d’existence se raffermit, c’est aussi là que les désirs contrariés et écartés refont surface comme autant d’existences alternatives aux potentiels avortés. C’est encore là que j’ai été conçu, alors que le monde était déjà fait par d’autres, ces ancêtres hostiles qui dévoilent visages et intentions à la fleur de mon âge. Sur la porte de la chambre de l’adolescent, on voit écrit en lettres rouges : NO FUTURE.

Dans ma chambre à coucher d’enfant, je gardais la tête sous les draps et laissais mes doubles utiliser mes jeux.

Un-deux, Freddy te coupera en deux.

La Satyriconne

Visite guidée de son dressing, entre bestiaire et caverne d’Ali Baba

Modèle, costumes et accessoires : Mériadek Caraes
Maquillage et photographies : Léopold Duchemin



Des mots cachés à écouter d’urgence

Playlist-jeu

a.k.a Jetboy



ENTRISME # 5




ENTRISME change de tête et ressemble désormais à une sorte de journal. Le nombre d’exemplaires et de points de distribution est multiplié. Dans ce numéro, les titres des articles ont tous été écrits par Crame. Il s’explique : « La taille d’ENTRISME s’est rapprochée de celle d’un journal traditionnel, alors les titres aussi, racoleurs avant tout. On est dans l’univers des catégories floues ou émergentes. Si l’on en croit les titres, ENTRISME n’est qu’une succession de faits divers. Si on jette un coup d’oeil aux rubriques en coin de page, on obtient des indices diffus sur ce qui a l’air d’habiter le mystérieux espace entre les lignes. Les préoccupations des auteurs ? Du journal ? Des lecteurs, peut-être ? A la place de «folie jour après jour», «masses et sous-masses», «grandir-vieillir», on pourrait dire «psycho», «politique», «jeunes», «seniors», mais on serait un peu à côté de la plaque. » A part ça ENTRISME continue à parler de nous, des cultures, aujourd’hui. Bizarre et gratuit et gonzo et générationnel et nia nia nia. Sans queue ni tête, mais aussi cohérent que l’index d’un bestiaire

SOMMAIRE:

Le DJ tueur Il met la main sur une discothèque paumée en enterrant les propriétaires
Henry Rollins Les ados du punk hardcore en aller simple pour le mainstream
Didier Lestrade L’homme qui ne connaît pas un Gay plus radical que lui nous dévoile ses fixettes des dix prochaines années,
Sorcière de la famille à dix ans Une gosse dans l’enfer de la superstition et de la psychothérapie
La Prohibida Idole des jeunes et petite babydoll
Vivre avec une araignée géante Le pénible quotidien d’une jeune Bretonne
Passion canine Ils aiment les chiens de la niche à la penderie
Sa bosse des maths est un TOC Elle passe ses journées à compter le monde de 1 à 10 et diviser les choses par 3 16
Renzo Martens L’homme qui explique aux Pauvres comment exploiter leur misère
Willy Richardson Il se transforme en mur de chiottes quand il s’endort
Les mille et une Venise L’histoire secrète du plus grand mème de tous les temps
Il est feignant et le revendique Les dessous de la vie d’ un poète.


------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------