Sa bosse des maths est un TOC

Elle passe ses journées à compter le monde de 1 à 10 et diviser les choses par 3

Laïla Poulain

Le jour où j’ai décidé de laver ma hotte de gazinière, j’ai pris les dimensions de la mousse qui se trouve à l’intérieur afin de la changer. 47cm de longueur et 34cm de largeur. Je les ai écrites sur ma main afin de m’en souvenir :


Je me suis surprise à passer ma journée à additionner 47+34 selon toutes les combinaisons possibles, par dizaines et unités.

47+30 = 77 , 77+4= 81
47+4 = 51 , 51+30= 81
34+7=41 , 41+40= 81
34+40= 74 , 74+7= 81

Ce jour-là j’ai eu l’impression que ma tête fonctionnait comme un boulier. Mais d’autres logiques de calcul m’apparaissent inopinément et je suis forcée de m’y soumettre. Je ne ressens pas d’apaisement après, je ne suis pas stressée avant. Ça arrive comme ça. Je suis obligée de le faire.
J’ai commencé par diviser tous les grands nombres que je voyais par 3 jusqu’à arriver à 1. L’idée étant de diviser le plus vite possible. Si le nombre n’est pas un multiple de 3, je prends le nombre multiple le plus proche. Voici un exemple à partir du code de chez moi : B5812.


Bien que je le connaisse par coeur, pratiquement à chaque fois que je le compose, je le divise par 3 jusqu’à arriver à 1.

Ça donne : 5+8+1+2= 16, le multiple le plus proche est 15, il faut enlever 1 à 5812 soit 5811, 5811/3=2837, 2+8+3+7=20, le multiple le plus proche est 21, il faut donc rajouter 1 à 2837 je repars donc sur 2838, 2838 / 3 = 946 le multiple le plus proche est 945, 945 / 3 = 315, 315 / 3 = 105, 105 / 3 = 35 le multiple le plus proche est 36, 36 / 3 = 12, 12 / 3 = 4 le multiple le plus proche est 3, 3/3 = 1

Le calcul prend à peu près le temps que je mets pour accéder à mon appartement situé au 1er étage.
Ensuite, je me suis aperçue que je me livrais à d’autres types de calculs. Je ne sais pas quand ils sont apparus ni si je m’y pliais avant sans m’en rendre compte. En tout cas je n’en ai pas parlé tout de suite. Non pas que j’ai eu peur, mais parce que c’était difficile à expliquer.
Au bout d’un moment, l’exercice de diviser par 3 jusqu’à 1 a commencé à m’ennuyer, alors j’ai un peu compliqué la tâche. A chaque étape, c’est à dire à chaque multiple de 3 sur lequel j’aboutis, j’ai décidé de vérifier que ce nombre est bien un multiple de 3. Pour ce faire j’additionne selon toutes les combinaisons possibles les chiffres du nombre entre eux.
Il y a une grosse pendule à la station de métro où je m’arrête pour aller travailler. Je la vois tous les jours et de manière quasi subliminale les chiffres s’imprègnent en moi. Parfois ils lancent le processus de divisions et de vérifications, mais ça n’interrompt pas mes activités dans le métro (écouter de la musique, lire, répondre à des mails, aller sur mon facebook, vérifier dans mon agenda que je n’ai pas oublié quelque chose…). Ce jour-là il était 14H53 quand je suis arrivée au métro.


J’ai additionné le multiple le plus proche de 1453 de toutes les manières possibles :

1+4+5+3 = 13 le multiple le plus proche est 12, je repars sur 1452.
1+4+5+2/ 1+4+2+5 / 4+1+5+2 / 5+2+4+1 / 5+2+1+4 / 2+5+4+1 / 2+5+1+4

J’ai refait ces mêmes combinaisons plein de fois, je vérifiais que je n’en avais pas oublié ou j’essayais de trouver de nouveaux systèmes arbitraires de classement. Souvent je me perds dans ces recomptages, alors je recommence et ça j’aime bien. Dès que ça me saoule, j’arrête et continue mes activités, sans compter cette fois-ci. Mais je peux aussi repartir sur un autre chiffre que j’aurais vu écrit autre part. Il y a eu le 33123 de la pub Avatar qui m’a pas mal fait compter début 2010.



Il y a des modes dans les exercices. Les divisions par 3 étaient très présentes après le lycée. Elles persistent encore 9 ans après mais plus faiblement, le jeu du it-hu tre-qua les ayant détrônées. Je ne saurais dire quand il a commencé, mais actuellement c’est celui que je fais le plus souvent.
Pour cet exercice je dois trouver un truc à compter de 1 jusqu’à 10. Par exemple les poutres du plafond de ma chambre.


Quand j’arrive à 10 je recompte la série à l’envers 4 fois selon une suite bien précise.
Entre 1 et 10, 4 est le seul mot composé de 2 syllabes: qua-tre. J’ai admis arbitrairement que 8 serait aussi composé de 2 syllabes, hu-it. Lorsque je recompte à l’envers je m’amuse à intervertir les syllabes, ce qui donne 4 combinaisons possibles.

Dix neuf ithu sept six cinq trequa trois deux un
Dix neuf ithu sept six cinq quatre trois deux un
Dix neuf huit sept six cinq trequa trois deux un
Dix neuf huit sept six cinq quatre trois deux un

Au début je ne faisais que ça. Ensuite est venue la représentation mentale d’un compas qui matérialise ces suites. La pointe se plante sur les chiffres impairs et le crayon sur les chiffres pairs. Depuis, dans le jeu du it-hu tre-qua, il y a toujours ce compas qui danse. .
En décembre 2009, j’ai emmené des amis en tournée. C’était moi qui conduisais. Il y avait une date à Saint-Étienne et avant de reprendre la route le lendemain matin, nous sommes allés au musée d’art moderne qui se trouvait juste à côté de notre hôtel. Je me suis arrêtée devant un tableau de Helmut Federle qui m’a interpellée. Après être restée un moment plantée devant, je me suis rendue compte que je faisais le jeu du it-hu tre-qua en essayant de faire faire au compas les plus grands angles possibles.


Quand je conduisais, j’ai aussi beaucoup compté. Sur l’autoroute, il y a pléthore de matière à compter et paradoxalement c’est souvent moi qui conduis. Je compte les lignes de 3 en 3, le plus loin possible, jusqu’à me perdre et je recommence. Je fais des paquets de 3 avec les petites lignes du milieu et 1 grande ligne de distance sur la droite compte pour 3. Mais comme les paquets de pointillés vont moins vite que les grandes lignes à droite j’inclus arbitrairement de nouveaux objets dans le comptage (un poteau, une rambarde, ...) ou je compte 3 paquets de 3 pointillés pour 1 grande ligne.



Lors des exercices de comptage j’ai beaucoup de représentations mentales. Il y a le compas qui danse lors du jeu du it-hu tre-qua. Il y a aussi les images de dés lorsque je vérifie qu’un nombre est divisible par 3. Je compte chaque chiffre du nombre comme si je lisais sur un dé, avec le compas qui danse d’un point à un autre. Il ne doit jamais se déplanter. Le challenge est d’essayer de lui faire faire les plus grands angles possibles de rotation. Je m’amuse à compter par tous les chemins possibles. Ce jeu-là je ne le fais plus trop, je crois qu’il me fatiguait un peu.

Je compte souvent le nombre de personnes que je vois. En soirée, sur une photo, dans un film… Pour ce faire j’utilise aussi la représentation mentale du compas. Je m’amuse à recompter par tous les chemins possibles toutes les personnes. Et s’il n’y en a pas assez j’invente des comptages à l’envers totalement arbitraires pour dépasser 8. Un week-end où nous étions partis à Bruxelles avec des amis, nous avons fait la pause sandwich-triangle obligatoire sur une aire d’autoroute. Nous mangions à l’extérieur pour profiter du soleil et n’étions pas très prolixes. Il était encore un peu tôt et nous n’étions pas complètement réveillés. A ce moment-là mes cinq amis avaient un compas qui leur tournait autour.



Toute la journée on peut dire que je compte. Quand je m’ennuie, au moins ça fait passer le temps. Mais quand je suis concentrée je le fais aussi. J’ai l’impression que ça m’aide à me concentrer davantage sur ce que j’écoute ou ce sur quoi je réfléchis. Je crois que j’ai du mal à ne faire qu’une chose à la fois. Je m’ennuie. Je me demande si je ne me complique pas un peu la vie, mais je sais que sans ça je m’ennuierais réellement.

Un jour, on m’a dit que ça s’appelait de l’arithmomanie. Il s’agirait d’un TOC = Trouble Obsessionnel Compulsif. Ce dernier est analysé comme un trouble anxieux caractérisé par l’apparition récurrente de pensées intrusives. Ces pensées dites obsessions génèrent des angoisses et la personne réalise des compulsions ou des rituels contraignants pour limiter cette angoisse. Les tocs sont divers et apparemment assez fréquents. Dans mon entourage par exemple, mon ami Mathieu vérifie toujours 3 ou 4 fois que le gaz est bien fermé avant de partir de chez lui, ce qui nous met souvent en retard. Clément m’a avoué qu’il cherche toujours à compter les quatre coins d’une chose. Mériadek a une sainte horreur des noms propres franchouillards (Ménilmuche, Quincampoix, Caulaincourt…). Durant les repas, Solène est obsédée par l’idée d’être victime d’une pulsion, elle doit se concentrer pour ne pas penser à planter son couteau dans son voisin de table.

J’adapte mes jeux à ce que je vois et aussi ce que je vois à mes jeux. Comme je l’écrivais il y a des modes avec mes tocs. Ces derniers temps je bloquais pas mal sur le it-hu tre-qua. Depuis la rédaction de cet article tout ceci a un peu diminué et j’ai peur de m’ennuyer dans les jours à venir.


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