Gilles de Rais

Le ‟ serial killer” trahi par un conte de fées, sa mémoire salie
par le Conseil Général de Vendée

Comité central et Romain Charbon

De 1432 à 1440, lorsque les jeunes garçons entraient dans le château de Tiffauges, ils n'en ressortaient en général jamais. Violés, égorgés puis brûlés, leur disparition ne faisait ensuite pas beaucoup de bruit. Enfants du peuple à l'époque féodale, ils n'avaient en gros pas plus d'importance qu'une biche.
On ne se serait pas imaginé que derrière ce château, avec cette chapelle, ces orgues, ces tapisseries, ces diacres, on pratiquait la sodomie et on invoquait le diable. Des bruits couraient et l’on s'en doutait peut-être mais le baron à cette époque était tout puissant et les meurtres auraient pu encore durer longtemps si Gilles de Rais n'avait pas dilapidé son immense fortune.
Gilles de Rais a 16 ans lorsqu'il s’installe à Tiffauges. La forteresse est le douaire de Béatrice de Montjean dont il enlève et séquestre la fille, Catherine de Thouars, afin de se marier avec elle deux ans plus tard. Mais ce n'est qu’après avoir menacé de coudre Béatrice dans un sac et de la jeter à la rivière qu’il entre pleinement en possession du domaine.
C'est dans cette période propice à l'émancipation des femmes que Jeanne d'Arc entre en jeu. Brillant chef de guerre, Gilles est appelé à ses côtés. Ensemble, ils libèrent Orléans et font sacrer Charles VII à Reims. Gilles est fait Maréchal de France. Il est au sommet de sa gloire.
Les premiers crimes avérés ont lieu un an après la mort de Jeanne. La région connaît la disparition mystérieuse de ses plus beaux garçons. Champtocé, La Verrière, Machecoul, Pornic, Saint-Etienne-de-Mermorte, Pouzauges... Les résidences de Gilles sont assez nombreuses pour cacher les ossements.
Au fur et à mesure que ses crimes se multiplient, le faste et la magnificence entourant Gilles s’accroissent. Il aime le spectacle, le luxe. Il a toujours su divertir son peuple. Il dépense des fortunes dans des représentations théâtrales diverses : mystères, jeux, farces, moresques, moralités, où les costumes rivalisent de beauté et d’extravagance. Pour les fêtes de Jeanne d'Arc de l'année 1435, il fait disposer du vin et de l'hypocras sous les échafauds qui portent les décors et la scène, et fait servir aux spectateurs les mets les plus excellents.
Bientôt, Gilles manque d'argent. L’alchimiste Prelati est amené d'Italie et pose ses valises à Tiffauges. Celui-ci s'entretient souvent avec le Diable qu'il appelle « Baron », mais, contre toute attente, peine à changer le plomb en or. Gilles est fasciné par Prelati . Lors de leur condamnation à mort, il donnera naïvement rendez-vous au charlatan aux portes du Paradis.
Entre temps, Gilles s'est fait des ennemis, il est ruiné, les autres seigneurs sont au fait de ses agissements. Il se trouve rapidement inculpé.
Comme Jeanne, il est emmené au bûcher. Il avait obtenu du tribunal que son corps soit inhumé ; on le retire donc des flammes et il a droit à des obsèques de prince. La population, qui s’était prise d'affection pour son bourreau, fait une longue procession et construit un monument funéraire dédié à sa mémoire.
Selon Michelet, l'histoire de Gilles de Rais serait à l'origine du conte de Barbe-Bleue que les nourrices racontent à leurs enfants pour dire qu'il n'est pas bon d'être curieux, surtout pour les petites filles. Les habitants de Tiffauges, Machecoul ou Champtocé le croient encore et appellent les ruines qui restent sur leurs collines le château de Barbe-Bleue. On ne raconte plus que Gilles de Rais séquestrait des heures entières ses jeunes proies, jouissait sur leurs ventres, les regardait mourir en les égorgeant, et s’allongeait sur leurs corps jusqu'à ce que toute chaleur s'en échappe.




Le visiteur est accueilli par un panneau d’informations annonçant fièrement « inédit, 3h d’animations », alors qu’il semble que dans d’autres endroits en France, par exemple dans les centres aérés, il est possible de dénombrer facilement trois heures d’animations. Passé l'entrée il est invité à se promener entre des ruines encadrant un vaste espace gazonné. Quelques animateurs, costumés en personnages du Moyen-Âge (t-shirt à manche longues XL, grosse ceinture, leggings, bottes molles), se tiennent çà et là près d’écussons de bois dont l’un, au design très années 20, est aux armes de la Bretagne, bien que nous soyons en Vendée. Un fond sonore continu diffuse une musique médiévale faite de flûtiaux et de percussions indéterminées.
Une table est dressée dans l’herbe. Deux femmes, habillées en laitières, dédicacent leur livre sur les contes et légendes de la Vendée. Elles précisent que certaines légendes sont inventées sinon il n'y en aurait pas eu assez pour remplir un livre. L’une d’elle peint des paysages à la gouache pour passer le temps. L’autre mange des biscuits Lu tirés d’une boîte format familial.
Lorsqu’il n’y a pas d’animation de tir à la catapulte (toutes les demi-heures), tout le monde semble désœuvré, à la recherche de quelque chose à regarder. Des touristes se pressent dans une cave indiquée par un panonceau « Cave ». Un enfant fait remarquer avec justesse à ses parents qu'il n'y a là que quelques tonneaux vides. On déambule sur les promontoires qui donnent sur une salle où l’on peut détailler des reproductions de cartes postales agrandies et affichées dans une pièce. Elles représentent le château tel qu’il était il y a un siècle, c’est-à-dire identique à aujourd’hui.
Plus loin se trouve le « laboratoire d’alchimie » où Gilles de Rais était censé mener d’ésotériques recherches mais qui était plus probablement une chambre quelconque. On y découvre un mannequin de bois, mal assis derrière un pupitre, recouvert d’une coule monastique, qui consulte des grimoires. Il est entouré de divers objets, de fioles, de brocs, de béchers en grès et d’une bibliothèque éclectique et poussiéreuse dans laquelle on ne serait pas étonné de voir traîner une vieille carte routière. Son vêtement est mis de telle manière qu’il dissimule entièrement le visage du mannequin ; les visiteurs défilent silencieusement devant cette scène. Heureusement, un miroir relié à un système électronique fait de temps en temps apparaître en son centre un portrait de Gilles de Rais, et fait s’extasier les gens incrédules devant ce miracle du XXIe siècle. La salle se vide alors immédiatement après l'apparition.
À la fin de la visite, personne n’oublie d’aller à la boutique près du cinéma 3D installé dans un bout de bâtiment. On y trouve une édition du mystère de la Charité de Jeanne d'Arc de Charles Péguy au milieu de reproductions de pièces d'armures qu'on peut s'offrir à partir de 500 euros. Mais les familles préfèrent acheter un Cornetto à la tenancière qui annonce le prix des sucreries avec un bonnet à grelots.

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